Chapitre 6 : Raymond Kopa, l’empereur du football

Comme chaque dernier lundi du mois, retrouvez notre série consacrée aux "Français et le Real Madrid". Après le chapitre 5 sur Jean Luciano, place aujourd'hui au sixième chapitre autour d'une légende du foot et du Real Madrid : Raymond Kopa.

Fils de mineurs polonais du Pas-de-Calais, Raymond Kopaszewski dit Raymond Kopa, né à Nœux-les-Mines le 13 octobre 1931, est considéré comme LE précurseur du football français. Petit par la taille (1,69m) mais grand par le talent, Raymond Kopa a ouvert la lignée des grands n°10 français comme Michel Platini et Zinédine Zidane. Premier Ballon d’Or tricolore du Real Madrid, il est l’un des plus grands footballeurs français que le club espagnol et que la France aient jamais connus. 

Le talent n’attend pas

« Ni doué pour les mathématiques, ni pour l’histoire, ni pour le reste », le prodige Kopa est repéré à seulement 10 ans par le club de football local, l’US Nœux-les-Mines. Sous la coupe de Jean Batmale, il affine sa technique notamment en travaillant ses dribbles et ses feintes. Le jeune Raymond Kopa progresse rapidement : il inscrit un triplé lors de la victoire finale du club en Coupe du Nord. En 1949, son entraineur et le directeur sportif du club poussent pour qu’il participe au Concours du Jeune Footballeur. A juste titre, Kopa domine la concurrence et termine parmi les deux meilleurs joueurs.

Des débuts prometteurs au SCO d’Angers

A la suite du Concours du Jeune Footballeur 1949, Kopa signe son premier contrat professionnel au club SCO d’Angers à 18 ans, malgré sa petite taille (1,69m) qui refroidit les quelques clubs ayant approché la nouvelle étoile du football. « Beaucoup de clubs professionnels de la région, que ce soit Lens, Lille, Roubaix, Valenciennes, sont venus me voir (…) ils m’avaient jugé à cette époque-là ‘’trop petit’’. (…) Le gabarit comptait », expliquait plus tard Kopa. 

À Angers, Kopa joue deux saisons et inscrit 14 buts en 60 matches. Il finit meilleur buteur du club à l’issue de la saison 1950-1951, sa dernière sous le maillot angevin avant de sauter le pas du plus grand club français de l’époque, le Stade de Reims. Car à 20 ans, le jeune Kopa aspirait à plus grand : il avait toujours le club rémois en tête, et cela depuis sa réussite au concours du jeune footballeur. Le destin allait lui donner un coup de pouce. 

Le 15 avril 1951, le natif de Nœux-les-Mines réalise une prestation majuscule avec le SCO d’Angers contre le Stade de Reims en amical (4-4) et impressionne Albert Batteux, alors entraineur des Rémois. Sans tarder, le Stade de Reims, qui venait de remporter le championnat de France de D1, approche Kopa et coiffe au poteau les Girondins de Bordeaux et le Racing Club de Lens qui avaient également le talentueux milieu offensif dans leur viseur. 

Vite, Raymond Kopa dispute un match-test avec le Stade de Reims contre l’équipe nationale d’Espagne, sur la pelouse du Chamartín (terrain du Real Madrid), et convainc définitivement la direction rémoise de s’attacher ses services. 

La conquête du championnat de France avec le Stade de Reims

Au Stade de Reims, Raymond Kopa dispute 5 saisons de 1951 à 1956 et marque la bagatelle de 54 buts en 179 matches. 

Il devient très vite la coqueluche des supporters français dès sa première saison en D1, à la faveur d’un but magnifique lors de la victoire éclatante des Champenois contre le Racing Club de Paris au Parc des Princes (5-2), le 11 novembre 1951, et d’un triplé face à l’Olympique de Marseille (8-1). Kopa fait forte impression au manager des Bleus, Gaston Barreau. Alors qu’il vient d’obtenir la nationalité française, il est convoqué pour la première fois en équipe de France, où il fait ses débuts le 5 octobre 1952 contre l’Allemagne.

C’est la saison suivante (1952-1953) que Raymonde Kopa décroche enfin son premier titre de champion de France avec les Rémois, renforcés à l’intersaison avec l’arrivée de Léon Glovacki. Il remporte également la Coupe Latine après le net succès en finale du Stade de Reims à Lisbonne contre l’AC Milan (3-0).

La saison 1953-1954 est moins aboutie que la précédente. Kopa et son équipe terminent vice-champions de France derrière Lille. Eliminés de la Coupe de France par l’OM, ils sont reversés en Coupe Charles Drago qu’ils remportent néanmoins face à Lille au Parc des Princes. Avec les Bleus, malgré son premier but en Coupe du Monde, Kopa est éliminé du tournoi dès la phase de groupes.

Pour sa quatrième saison, Kopa répond à ses détracteurs. Le 17 mars 1955, sous les ailes d’Albert Batteux, son ex-entraineur au Stade de Reims fraichement nommé sélectionneur des Bleus, Kopa réalise l’une de ses prestations les plus abouties avec l’équipe de France. Alors que le quotidien L’Équipe pronostiquait une dérouillée face à l’Espagne, Kopa, à lui tout seul, fait plier les Espagnols à Madrid, inscrivant le but de l’égalisation et délivrant la passe décisive sur le but de la victoire (2-1). L’Espagne et l’Europe du foot tombent sous le charme. C’est d’ailleurs cette prestation XXL qui lui vaut le surnom de « Napoléon du football » depuis l’outre-manche. « Je peux dire, peut-être, que c’est le meilleur match de ma carrière », a confié l’intéressé dans une interview accordée à la FFF en 2013. Un fait d’arme qui surplombe son nouveau titre de champion de France avec le Stade de Reims au terme de la saison 1954-1955.

Lors de sa dernière saison au Stade de Reims, Raymond Kopa connut une année blanche pour l’attaquant alors âgé de 25 ans. Toutefois, tout n’est pas à jeter pour Raymond Kopa. En effet, le Français porte son club jusqu’en finale de la première Coupe d’Europe des Clubs Champions de l’histoire, l’ancêtre de la Ligue des Champions contemporaine, le 13 juin 1956, face au vainqueur de la compétition, le Real Madrid. Kopa ne marque pas lors de la défaite des siens (4-3), mais éclabousse encore l’Europe par son jeu léché. Dans le viseur des grands clubs du continent depuis sa masterclass contre l’équipe d’Espagne avec les Bleus, Kopa signe en fin de saison au Real Madrid du président historique Santiago Bernabéu qui le chipe au nez et à la barbe de l’AC Milan.

Le Real Madrid et la conquête de l’Europe

C’était donc la première fois qu’un Français s’expatriait de la D1 pour l’étranger, qui plus est au Real Madrid, le plus grand club du monde, avec ses stars Di Stefano, Gento, Rial… « J’ai été le premier joueur français à quitter le pays » réagissait plus tard Kopa. « A l’époque, beaucoup de gens m’ont pris pour un traître. J’avais juste le tort d’être un précurseur. » Et c’était le cas pour les futurs français du club madridiste : « C’est lui qui nous a montré le chemin (…) C’est quelqu’un qui nous a montré la voie. Non seulement avec Madrid mais aussi avec l’équipe de France. », insiste plus tard Zinedine Zidane. Cependant, ce départ à l’étranger lui ferme les portes de l’équipe de France et c’est depuis Madrid que Raymond Kopa voit les Bleus se qualifier in extremis pour la Coupe du Monde 1958. Car seuls les joueurs évoluant en France étaient sélectionnables.

Pour son baptême de feu au Real Madrid, Kopa et la Casa Blanca sont battus sèchement dans le Clásico contre le Barça (0-4). Mais il s’adapte vite. D’abord positionné avant-centre en début de saison avant d’être glissé sur l’aile droite pour laisser Alfredo Di Stefano occuper le poste de meneur de jeu, Kopa participe au deuxième sacre consécutif du Real Madrid en Coupe d’Europe. Le club madridiste domine la Fiorentina en finale (2-0) et Kopa soulève la C1 pour la première fois, un an après l’avoir perdue. Il devient alors le premier français à remporter la Coupe d’Europe.

1958 : l’apothéose

En fin de saison 1956-1957, le Real Madrid signe un autre crack en la personne de Ferenc Puskás. Le Hongrois forme ainsi avec Kopa et Di Stefano, le plus grand trio d’attaque du monde et l’un des meilleurs de l’histoire. Porté par son trident galactique, le Real Madrid marche sur l’Espagne et l’Europe. Kopa et le Real Madrid enchainent une troisième Coupe d’Europe, après la victoire finale face à l’AC Milan (3-2), et décrochent la cinquième Liga de l’histoire du club. Auteur d’une saison pleine, le Français est autorisé par le club à aller disputer la Coupe du Monde en Suède avec la sélection française où il signe son retour magistral après deux ans de mise à l’écart.

Les Bleus abordent leur premier match du mondial par une victoire sur le Paraguay (7-3) au cours de laquelle Kopa marque un but. Ils obtiennent leur ticket pour les quarts de finale après une victoire à l’arrachée devant l’Ecosse (2-1) avant d’être stoppés dans le dernier carré. Car en demi-finale, malgré la double passe décisive de Raymond Kopa, la France s’incline (5-2) devant le vainqueur du tournoi, le Brésil de Pelé auteur d’un triplé. Les Bleus finissent la compétition en l’emportant sur la République Fédérale d’Allemagne (6-3) dans le match pour la troisième place. Bien que son partenaire Just Fontaine, buteur record d’une seule Coupe du monde avec 13 buts, lui ait quelque peu volé la vedette, Raymond Kopa est élu meilleur joueur de la compétition.

Fort logiquement, Kopa est sacré Ballon d’Or France Football 1958 devant l’Allemand Helmut Rahn et Just Fontaine. 

« 1958 était la meilleure année de ma carrière sportive », se rappelait-il encore 55 ans plus tard au micro de la FFF.

Le chant du cygne

La saison 1958-1959 est la dernière de Kopa au Real Madrid. Le nouveau Ballon d’Or a le mal du pays. Il souhaite revenir en France pour jouer avec les Bleus. En plus, il est lassé d’être cantonné au poste d’ailier droit au Real Madrid, un poste où il ne jouit pas d’énormément de liberté de jeu : « Je jouais à l’aile droite et si je suis parti du Real Madrid c’est à cause de ça. (…) J’ai une liberté à Reims, je fais ce que je veux », révélait-il trois ans plus tard, de retour au pays, au micro de Maurice Huelin.

Malgré l’insistance de Santiago Bernabéu pour le prolonger, Kopa dispute son dernier match avec Real le 3 juin 1959, en finale de la Coupe d’Europe. Discret durant la rencontre, le droitier remporte tout de même la quatrième Coupe d’Europe de rang du Real, sa troisième sur le plan individuel après le succès face au Stade de Reims (2-0). La boucle est bouclée ! Kopa finit deuxième au Ballon d’Or derrière Alfredo Di Stefano et devient le premier joueur, avant Cristiano Ronaldo et Lionel Messi, à terminer quatre années de suite, de 1956 à 1959, dans les trois premiers au classement du Ballon d’Or.

Les trois années de Kopa au Real Madrid étaient « inoubliables » « la meilleur période de sa vie. » dit-il. « On a perdu un match en trois ans », s’est-il fièrement rappelé en 2013 dans une interview accordée à la FFF. En 103 matches disputés sous la tunique blanche, Raymond Kopa aura marqué 31 buts et remporté six trophées majeurs.

Revenu en France, Kopa est forfait pour la première Coupe d’Europe des nations en 1960 avec les Bleus en raison de douleurs aux chevilles. Albert Batteux parti, Georges Verriest prend les rênes de l’équipe de France après que les tricolores ont échoué à se qualifier au mondial 1962. Ce fut le début du divorce de Kopa avec l’équipe de France. A 31 ans, étant sur la pente descendante et perturbé par la maladie de son fils qui décèdera quelques mois plus tard d’un lymphosarcome, Raymond Kopa part au clash avec Georges Verriest. Des démêlées qui lui valent plus de cinq mois de suspension dans l’équipe de France. Il ne sera plus appelé en sélection et dans les journaux il est nargué après la victoire de la France contre la Bulgarie (3-1) sans lui : « La France a gagné, Kopa a perdu », pouvait-on lire.

Parallèlement, Kopa ne connait plus le meilleur avec le Stade de Reims, club où il retourna après le Real Madrid. En neuf saisons, le club champenois ne fait guère mieux que terminer vice-champion de France derrière l’AS Monaco lors de la saison 1962-1963. 

Le Stade de Reims traverse une crise financière, plombé par un gros manque à gagner suite à la modification des répartitions des recettes : en effet, le club attire les foules à l’extérieur mais à domicile l’affluence est moindre. Par ailleurs, Kopa est moins décisif devant : il inscrit 42 buts en 287 matches, soit un ratio de 0,14 but par match. C’est 0,2 point de moins bien que lors de son premier passage radieux au club. Suspendu six mois pour avoir dit que « les footballeurs sont des esclaves », dans sa lutte pour les contrats à temps des joueurs, Kopa ne peut aider son équipe : fin de saison 1963-1964, le Stade de Reims termine 17e et est relégué en 2e division. Malgré une remontée en D1 la saison suivante, Kopa ne peut empêcher une nouvelle relégation du club rémois à la saison 1965-1966. 

Il prend sa retraite en 1967 à l’âge de 35 ans mais joue son dernier match pro le 15 décembre 1968 lors du lever de rideau des anciennes gloires rémoises. Au compteur, il totalise 661 matches pour 159 buts marqués.

Témoignages

De par son petit gabarit, notamment sa taille de 1,69m, « Kopita » – comme il était surnommé à Madrid – était un fin dribbleur. « Kopa, c’était Messi », a observé Just Fontaine dans un entretien à L’Equipe en 2015. « Il y avait des similitudes dans le dribble. (…) Dans l’ensemble, on peut me joindre à Messi », confiait Kopa lui-même quelques mois plus tard dans une interview à son domicile. « Il ne dribble pas qu’un joueur, explique en 2017 Just Fontaine. Il peut en dribbler trois ou quatre parce qu’il a une vivacité dans les gestes et le démarrage. » En guise d’hommage posthume, le Real Madrid abondait dans le sens de l’ancien attaquant des Bleus : « Le Français [Raymond Kopa] était un joueur à la technique exquise, avec une grande capacité à dribbler et à déséquilibrer l’adversaire en attaque. »

Si pour Michel Platini « Raymond Kopa est un ailier droit », ce dernier était plus à l’aise au centre du jeu, en soutien des attaquants. Grâce à sa vision du jeu extraordinaire, il régalait les buteurs de délicieux caviars. « Les buts, ce n’était pas mon fort », avouait le Ballon d’Or 1958. En effet, Kopa était « un passeur plus qu’un buteur », s’est souvenu Platini, interrogé par France Info le 3 mars 2017.

Déjà, après son premier match avec le SCO d’Angers, la presse le décrivait ainsi : « L’homme [Raymond Kopa] est adroit, dribble court, tire juste et fort des deux pieds, possède une bonne détente, un jeu de tête correct, sait être clairvoyant et joue avec ses coéquipiers. » Une clairvoyance, justement, que Kopa a acquis depuis ses années amateures à Nœux-les-Mines. « De l’âge de 6 à 10 ans, j’étais pratiquement toujours sur le terrain de Nœux-les-Mines, raconte-t-il dans un entretien relayé par France 3. Je me souviens très bien de cette époque où nous avions tous, nous les jeunes, un œil sur le ballon et un œil sur le garde parce qu’il nous était interdit d’utiliser les installations de l’US Nœux-les-Mines. Cela nous a permis de progresser sur le plan de la clairvoyance. »

Héritage

Trois jours seulement après le décès de Raymond Kopa, le 6 mars 2017, le club du SCO d’Angers a rebaptisé son stade « Stade Raymond Kopa ».

Par ailleurs, en la mémoire de Kopa, en 2018, le trophée Kopa a été créé par France Football. Ce prix récompense le meilleur joueur espoir de moins de 21 ans de l’année. Comme un symbole, son premier lauréat est un Français, Kylian Mbappé.

Le 15 décembre 2018, quelques heures avant le coup d’envoi du match de la 18e journée de Ligue 1 face au Racing Club de Strasbourg, le Stade de Reims a inauguré, devant le stade Delaune, une statue à l’effigie de Raymond Kopa.

Prudence