Le Real Madrid n’a jamais été le club du régime franquiste !

Le Real Madrid n'a jamais été le club du régime franquiste. Dans cet article, nous allons vous expliquer pourquoi et comment cela est devenu une légende qui, au fil du temps, a été reprise par un bon nombre de médias espagnols, européens et américains. « Le tirage de la Ligue des Champions ? Durant l'époque de Franco, le Real Madrid gagnait tout grâce à la dictature », a balancé en direct Rafael Ramos de ESPN il y a quelques semaines. Éléments (historiques) de réponse.

par | 7/02/2022 | 0 commentaires

La dictature du général Franco, de 1939 a 1975, a coïncidé avec un bon nombre de succès du Real Madrid en Espagne et en Europe. Une concordance qui a créé, au fil des années, une légende noire autour du club présidé par Santiago Bernabéu : le Real Madrid, le club du régime franquiste !

On a tous déjà entendu ce genre de phrases : « Tu le vois bien ! Les images en noir et blanc, Di Stéfano, les cinq Coupes d’Europe d’affilées… Puis bon, à l’époque, un billet sous la table et ça passait. Et c’est bien connu, Franco et Bernabéu étaient amis ! »

Faux, faux et faux. Cela est une fable. Explications.

Un peu de chronologie : le Real Madrid dans les premières années du régime franquiste (1939-1943)

L’historien espagnol Eduardo González Calleja surnomme cette période « La traversée du désert ». Année 1939, « L’année de la Victoire » comme le proclame Francisco Franco après avoir remporté la Guerre Civile (1936-1939) : cette année-là a été, sans aucun doute, la plus dure de l’histoire du Real Madrid. Comme le rapporte l’historien, le club se retrouve sans équipe. Le stade Viejo Chamartín, qui avait été utilisé pendant la guerre par les Républicains pour s’entraîner, est en ruine et est transformé en camp de concentration par le régime franquiste. Le siège social est bombardé et la plupart des trophées remportés de 1902 à 1936 disparaissent.

Pour comprendre le contexte, l’histoire de trois personnes importantes est à noter avant le début de la dictature : José Sánchez-Guerra, Antonio Ortega et Pedro Patricio Escobal. Le premier est journaliste puis homme politique républicain espagnol, devenu président du Real Madrid de 1935 à 1939. Il est emprisonné après la guerre et réussit à s’exiler en France quelques années plus tard. Le deuxième est un militaire espagnol qui participe à la Guerre d’Espagne dans les rangs de l’armée populaire de la République. Il devient directeur du Real Madrid en 1937. Franco l’exécute en 1939. Le dernier a été joueur et capitaine du Real Madrid dans les années 20 et 30, avant d’être condamné à 30 ans de prison par Franco après avoir été affilié à la Izquierda Republicana. Il réussit à échapper à quatre exécutions et s’exile à Cuba et aux USA où il rédige ses mémoires intitulées Las sacas.

Revenons à 1939. Toujours selon González Calleja, le club passe entre les mains d’Adolfo Mélendez, qui accepte la difficile tâche de se charger de la « Reconstruction ». Proche de la dissolution, il réussit à ne pas flancher face aux pressions externes qui l’invitent à laisser le « Madrid » se faire absorber par l’Aviación Nacional, l’ancien Atlético de Madrid (l’appellation Real sera récupérée en 1941). Composé d’une équipe de cinq joueurs en avril 1939, tous disparus pendant la guerre, et après cinq mois de travail acharné, Adolfo Mélendez réussit à avoir une équipe pour commencer la saison.

Santiago Bernabéu et la construction d’une entité solide grâce au nouveau stade (1943 – 1947)

Pendant que l’Atlético Aviación gagne les deux premières Liga sous la dictature (1940 et 1941) et le FC Barcelone remporte la première Coupe du Généralissime (1942), le Real Madrid tente de se reconstruire au projet d’un socio : Don Santiago Bernabéu. De famille aisée, Bernabéu connaît le club parfaitement grâce à son passé de joueur, d’entraîneur et de directeur. Autoproclamé apolitique et connaissant toutes les facettes du football de son époque, le socio présente un projet que beaucoup disaient être irréel et mégalomane : la construction d’un stade avec la plus grande capacité d’Europe.

Dans un contexte où l’Espagne vit dans une situation économique instable, Santiago Bernabéu tente coûte que coûte de trouver un moyen de financement et se voit, plusieurs fois, freiner par la Délégation Nationale du Sport Espagnol et le Ministère des Finances Publiques. Finalement, il réussit à obtenir un prêt de 68 Milliards de Pesetas avec le Banco Mercantil sous certaines conditions extrêmes : ce sont les propres socios du club qui ont hypothéqué leur propre patrimoine sur vingt ans.

Pour l’anecdote, insomniaque la nuit avant de signer l’accord par peur que les socios refusent, Santiago Bernabéu rappelle : « Je me suis levé tôt et je suis parti aux alentours de la banque. Avant l’ouverture, j’étais heureux de constater qu’une grande queue s’était formée en quelques minutes. En peu de temps, je me suis rendu compte que nous avions triomphé. Ils disent que le Real Madrid appartient aux riches, mais ils se trompent. La vérité est la suivante : les bases de l’entité sont ceux qui ont permis la construction de ce stade. Et dans les 40 000 premiers socios, il n’y eut qu’une vingtaine d’aristocrates.  »

C’était le 22 juin 1944 et le Real Madrid, de la main de Santiago Bernabéu, renaît de ses cendres. Trois ans et demi plus tard, le 14 décembre 1947, le rêve est accompli et le nouveau stade est inauguré. À partir de ce moment-là, la situation financière du club au plus mal quelques années auparavant, se stabilise grâce à l’affluence massive de nouveau socios – 42 000 en 1953. Le Real Madrid a réussi à ressusciter malgré l’adversité de l’État à son égard.

Santiago Bernabéu, la personnification de l’anti-franquisme

Dans une Espagne renfermée sur elle-même d’un point de vue des relations internationales, après la défaite de l’Allemagne Nazi en 1945, Santiago Bernabéu apparaît comme un antagoniste à sa société. Visionnaire et ouvert sur le monde, le président du Real Madrid va réaliser le plus gros transfert de son époque : Alfredo Di Stéfano. La Saeta Rubia est connue lors d’un tournoi organisé pour les 50 ans du club, en 1952, lorsqu’il voyage à Madrid avec les Millonarios.

C’est une affaire rocambolesque avec le FC Barcelone qui voit le Real Madrid s’attacher les services de l’Argentin et qui provoque un début de rivalité extra-sportif entre les deux clubs : la légende noire du Real Madrid, « l’équipe du régime », commence. Cependant, si Di Stéfano finit au Real Madrid, c’est grâce à l’intervention de la FIFA. Santiago Bernabéu tient son premier grand coup qui lui permet de remplir chaque week-end son nouveau stade : un attaquant argentin, dans un régime fasciste, qui deviendra le meilleur joueur de sa décennie, et sûrement, pour les romantiques, de l’histoire.

Le 2 avril 1955, le journal L’Équipe annonce la création de la Coupe des clubs champions européens, une compétition impulsée par Santiago Bernabéu et mal vue par Franco qui voulait interdire les futures rencontres en Espagne. Mais le président du Real Madrid savait que l’avenir du sport-roi passait par un tournoi de ce calibre. « Le sport et la politique sont deux choses bien distinctes. Les sportifs ne doivent pas rentrer dans les possibles divergences de la politique de leur pays« , disait-il. Rien ne put le freiner, même pas la dictature franquiste. Le Real Madrid remporte les cinq premières Coupes d’Europe, et c’est-là que Franco commence à utiliser le club pour vendre l’image du pays.

Enfin, revenons en 1946, Bernabéu a connu un épisode bien particulier avec le régime. Après un comportement déplacé dans l’enceinte du stade, Millán Astray, général de l’armée, est prié de le quitter. Celui-ci propose un duel de pistolet au président du Real Madrid. Bernabéu n’y répondra pas, ne s’excusera jamais auprès du régime franquiste et interdira l’accès du phalangiste – équivalent des SS -, au stade.

 

Pablo Gallego