Le jubilé d’Alfredo Di Stéfano : pulga, boucherie et sommet européen

Le 7 juin 1967, le plus grand joueur de l’histoire du Real Madrid, Alfredo Di Stéfano, tire sa révérence. Retour sur un match amical pas comme les autres.

Alfredo Di Stéfano, entraineur du Real lors de la fameuse Quinta (Icon Sport)

À l’heure de tirer sa révérence en tant que joueur, Alfredo Di Stéfano décide de sortir par la très grande porte. Après 5 Coupe des clubs champions européens, 2 Coupes Latine, 1 Coupe Intercontinentale, 8 Liga, 1 Coupe du roi, 2 Ballon d’Or, 3 Liga colombienne, 1 Liga argentine, et pas moins de 10 souliers d’or en Europe et en Amérique du Sud, la Saeta rubia cherche à ponctuer son immense carrière avec des adieux à la hauteur de son standing.

Le contexte

Lors de la saison 1967, une équipe écrase tous ses opposants avec un jeu créatif et pétillant : le Celtic Football Club. Auteurs d’une saison hors normes, les hommes de Jock Stein réussissent à remporter tous les trophées possibles : le championnat écossais, la Coupe de la ligue, la Coupe d’Écosse. Non-contents d’avoir réalisé le triplé national, les Bhoyz remportent la Ligue des champions contre l’Inter le 25 mai 1967 à l’Estádio Nacional de Lisbonne. À l’issue d’une partition héroïque, ils acquièrent le surnom des Lions de Lisbonne. Le Celtic devient le premier club du nord, et également le premier club britannique à soulever la coupe aux grandes oreilles.

Dans l’avion qui les ramènent en Écosse, les Celts sont approchés par un homme un peu bedonnant à la calvitie bien avancée : il s’agit d’Alfredo Di Stéfano. Le joueur argentin invite les champions d’Europe en titre à disputer le match de son jubilé contre le Real Madrid. Ce que le Celtic accepte avec plaisir. Pour l’anecdote ce n’est pas la première fois qu’il croise le groupe écossais, puisque deux jours avant, il leur distillait déjà des conseils clés pour déverrouiller le Catenaccio de l’Inter, une tactique que Di Stéfano déteste depuis la finale perdue du Real Madrid à Viennes contre l’Inter en 1964.

Alfredo Di Stéfano joue treize minutes avant de sortir sous l’ovation des 103 000 personnes présentes en cette soirée du 7 juin 1967. Une sortie émouvante, qui arrache des larmes à beaucoup, dont certains joueurs du Celtic. Un instant d’histoire, dans le stade qui a sacré Saeta rubia dans le gratin du football mondial, avec le club qui l’a fait entrer dans l’histoire de ce sport, et contre les successeurs à son équipe au palmarès en C1. La suite de la rencontre reste, elle aussi, dans l’histoire. Le Real Madrid subit une démonstration devant son public de la part du Celtic. Intouchables ce soir-là, les Bhoyz démontrent pourquoi ils sont champions d’Europe, mais également pourquoi Alfredo Di Stéfano les a choisis pour un match de cette envergure.

La star du match : Jimmy Johnstone

Lionel Messi n’est pas la première pulga de l’histoire du football. Non ! Bien avant lui, il y a eu Jimmy Johnstone, la puce du Celtic. Une petite tête rousse qui du haut de son 1,62 m, fait tourner la tête de la défense du Real Madrid. Auteur d’une performance XXL, The Lord of Wing transforme ce match amical en une boucherie. Un talent à la limite du réel, qui finit de convaincre les défenseurs de la maison blanche de le stopper avec des tacles qui n’ont rien d’amical. L’ailier écossais propose la meilleure prestation de sa carrière, juste après son autre prestation d’une vie à Lisbonne contre l’Inter. Doté d’une technique rare, infatigable, un pied droit magique : le natif de Viewpark est tout simplement stellaire.

Pour ainsi dire, sa passe décisive sur l’unique but du match est un parfait condensé de ses qualités :  il récupère la balle au milieu de terrain dans son propre camp avant de se lancer dans un rush « Messiesque ». Une remontée de balle, deux joueurs effacés, avant de distribuer une passe décisive qui efface l’intervalle quatre défenseurs pour Lennox, qui n’a plus qu’à croiser son tir en force dans le petit filet opposé.

Le match de de Jinky est tellement impressionnant, qu’il finit par avoir les Madridistas acquis à sa cause, au point que ces derniers l’acclament en criant « Olé ! » chaque fois qu’il touche le ballon. Ainsi, Jimmy Johnstone se fait connaître par le plus exigent des stades dans le monde, et adouber par Alfredo Di Stéfano lui-même. La puce du Celtic lui vole même la vedette, mais ça n’empêche pas la légende du Real Madrid d’en dire le plus grand bien.

Lors du banquet d’après-match, Alfredo Di Stéfano accompagné de Francisco Gento et Ferenc Puskás, tient à revoir Jimmy Johnstone pour prendre une photo avec lui. Il profite également de cette occasion pour le reconnaitre comme un des joueurs de son standing, assurant que la puce du Celtic n’avait rien à leur envier. Andrés Junquera, gardien mythique du Real Madrid et titulaire lors du jubilé de Di Stéfano déclare dans la foulée du match que Jimmy Johnstone est l’adversaire le plus impressionnant qu’il ait eu à affronter. Le lendemain du match, le quotidien Marca titre son journal avec cette phrase :

« Que le football pratiqué par le Celtic reste parmi nous à la manière espagnole. Amen. »

La sortie d’Alfredo Di Stéfano ne pouvait pas être commune. Après une carrière autant sensationnelle qu’étonnante, la Saeta rubia quitte le monde du football en tant que joueur dans une affiche qui oppose les deux derniers champions d’Europe du moment. Les adieux sont dignes de son statut dans l’histoire du plus grand club au monde : hors normes et singuliers.

 

Abdoulaye D.