La Super Ligue européenne (Super League) revient sur la table : quels sont les enjeux ?

Ce jeudi, la Super Ligue européenne (ou Super League) pourrait connaître un sérieux rebondissement lorsque la Cour de justice de l’Union européenne rendra son verdict au sujet de sa compatibilité avec le droit de la concurrence sur le continent.

La Super Ligue va être débattue ce jeudi.

Ce jeudi, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) rendra son verdict sur la compatibilité de la Super Ligue européenne (ou Super League) avec le droit de la concurrence sur le Vieux continent. Cette décision est cruciale pour la viabilité de projet. Eu égard à ses conséquences pour le football européen, son importance est similaire à celle de l’arrêt Bosman. Alors que la Ligue des champions vient de vivre sa dernière édition sous le format actuel, une décision favorable au projet de la Super Ligue européenne rabattrait les cartes de toute la pyramide du football européen. Mais sur quoi les juges de la CJUE se prononceront concrètement ?

Demande de décision préjudicielle d’un tribunal de Madrid

À la suite de l’annonce de la création de la Super Ligue européenne, la FIFA et l’UEFA avaient publié une déclaration commune, le 21 janvier 2021. Ils manifestaient leur refus de reconnaître cette nouvelle entité et lançaient une mise en garde sur le fait que tout joueur ou tout club participant à cette nouvelle compétition serait expulsé de celles organisées par la FIFA et ses confédérations.

Par un autre communiqué du 18 avril 2021, cette déclaration avait été entérinée par l’UEFA et d’autres fédérations nationales. Elle rappelait qu’ils avaient la possibilité d’adopter des mesures disciplinaires à l’encontre des participants de la Super Ligue européenne. Ces mesures en question impliquaient, notamment, l’exclusion des clubs et des joueurs participant à cette hypothétique compétitions ou à d’autres grandes compétitions européennes et mondiales non affiliées.

Face à cette menace, la Super Ligue européenne en tant que société (European Superleague Company SL) avait demandé des mesures conservatoires à un tribunal de Madrid. Le 20 avril 2021, le Juzgado de lo Mercantil n.º 17 de Madrid (tribunal de commerce de Madrid) avait ordonné lesdites mesures prohibant de possibles sanctions à l’encontre des acteurs de la Super Ligue européenne.

En outre, le 11 mai 2021, le tribunal en question avait demandé une décision préjudicielle à la CJUE avec 6 questions établies. Elle devait déterminer s’il existe un abus de position et/ou de pouvoir de la part de l’UEFA face à la Super Ligue européenne. Ce point est important sachant que l’Union européenne a déjà reconnu la position dominante de l’instance. La question est donc de savoir si cette dernière abuse de ladite position en s’opposant à la création de la nouvelle compétition impulsée par Florentino Pérez.

Les conclusions de l’Avocat général sur la Super Ligue

Le 15 décembre 2022, M. Athanasios Rantos, un Avocat général de la CJUE a émis ses conclusions concernant les questions préjudicielles posées à la CJUE. L’Avocat général estime que la position dominante de l’UEFA n’est pas contraire au droit européen de la concurrence. Bien que non contraignantes, ses conclusions donnent un cadre aux juges chargés de rendre la décision finale.

Dans la majorité des cas (70-80%), ces derniers tendent à suivre les conclusions de l’Avocat général. Il faut donc s’attendre à ce que les juges de la CJUE reprennent dans les grandes lignes les conclusions émises par l’Avocat général il y a une année. Dans ces dernières, il souligne au point 48 que la seule circonstance qu’une même entité (en l’occurrence l’UEFA) exerce à la fois les fonctions de régulateur et d’organisateur de compétitions sportives n’implique pas, en soi, une violation du droit de la concurrence de l’Union européenne. Il propose à la Cour que :

  • Les articles du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) relatifs à l’entrave de la concurrence ainsi qu’aux abus de position dominante doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas aux bases légales des statuts de la FIFA et de l’UEFA qui prévoient que la création d’une nouvelle compétition paneuropéenne de football entre clubs soit subordonnée à un système d’autorisation préalable dans la mesure où, compte tenu des caractéristiques de la compétition envisagée, les effets restrictifs découlant dudit système apparaissent être inhérents et proportionnés pour atteindre les objectifs légitimes poursuivis par l’UEFA et la FIFA qui sont liés à la spécificité du sport.
  • Les articles du TFUE relatifs à l’entrave de la concurrence ainsi qu’aux abus de position dominante doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’interdisent pas à la FIFA, à l’UEFA, à leurs fédérations membres ou à leurs ligues nationales de proférer des menaces de sanctions à l’encontre des clubs affiliés à ces fédérations lorsque ces derniers participent à un projet de création d’une nouvelle compétition paneuropéenne de football entre clubs qui risquerait de porter atteinte aux objectifs légitimement poursuivis par lesdites fédérations dont ils sont membres.
  • Les articles du TFUE relatifs à l’entrave de la concurrence ainsi qu’aux abus de position dominante doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas aux bases légales des statuts de la FIFA dans la mesure où les restrictions portant sur la commercialisation exclusive des droits relatifs aux compétitions organisées par la FIFA et l’UEFA apparaissent comme étant inhérentes à la poursuite des objectifs légitimes liés à la spécificité du sport et proportionnées à ceux-ci.
  • Les articles du TFUE relatifs aux quatre libertés économiques fondamentales doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas aux règles de la FIFA et de l’UEFA qui prévoient que la création d’une nouvelle compétition paneuropéenne de football entre clubs soit subordonnée à un système d’autorisation préalable, dans la mesure où cette exigence est appropriée et nécessaire à cet effet, compte tenu des particularités de la compétition prévue (1).

En substance, l’Avocat général estime que l’UEFA n’abuse pas de sa position dominante en s’opposant à la création de la Super Ligue européenne et que ce refus n’enfreint pas les règles du droit européen de la concurrence.

Javier Tebas et Florentino Pérez (Icon Sport)

 

Les clubs membres de la Super Ligue européenne devront faire un choix

A première vue, l’on pourrait croire que si la Cour en vient à suivre l’argumentation de l’Avocat général, la Super Ligue européenne ne verra pas le jour. Or, ce n’est pas forcément le cas.

En effet, dans ses conclusions, l’Avocat général souligne que la CJUE considère que l’édiction des règles appropriées à l’organisation d’une discipline sportive incombe aux fédérations sportives (2). En outre, il met en exergue le fait que les statuts de la FIFA et de l’UEFA leur octroient le monopole quant à l’autorisation et à l’organisation des compétitions internationales de football professionnel en Europe (3).

Il estime que ce système d’autorisation préalable constitue un mécanisme essentiel de gouvernance du football européen en ce qu’il garantit l’application uniforme des règles de ce sport ainsi que le respect des standards communs entre les différentes compétitions. Il souligne également le fait que ce système permet d’assurer la coordination et la compatibilité des calendriers des matchs et des compétitions de football en Europe (4).

Il concède que d’autres disciplines sportives sont organisées différemment et que le « modèle sportif européen » ne l’exclut pas. Néanmoins, il estime que sans un mécanisme de contrôle préalable, il serait pratiquement impossible pour l’UEFA ou la FIFA d’assurer la réalisation des objectifs qu’ils poursuivent (5).

Cependant, il argue que l’exigence d’une autorisation préalable n’est pas indispensable pour que l’European Super League Company (ESLC) organise une nouvelle compétition de football. Il n’existe aucun obstacle juridique qui puisse empêcher les clubs de l’ESLC de créer et d’organiser librement leur propre compétition en dehors de l’écosystème de l’UEFA et de la FIFA. L’autorisation de ces fédérations n’est ainsi requise que dans la mesure où les clubs participant à la Super Ligue européenne souhaitent rester affiliés à l’UEFA et continuer de participer aux compétitions de football organisées par celle-ci (6).

En conséquence, si la Cour en vient à suivre les arguments de l’Avocat général, les clubs de la Super Ligue européenne ne pourront plus participer à une compétition organisée par l’UEFA s’ils souhaitent que leur projet aboutisse. Cet état de fait ne serait pas rédhibitoire pour la création de la compétition. Dans le contrat fondateur de celle-ci, les clubs promoteurs se sont autoexclus de la Ligue des Champions et ont admis le fait que la Super Ligue européenne serait la seule compétition paneuropéenne à laquelle ils participerait.

Quid des compétitions nationales ?

L’autre écueil auquel les autres clubs promoteurs de la Super Ligue européenne risquent d’être confrontés est celui de leur fédération nationale respective. Même si l’UEFA ne pourrait pas directement exclure les clubs de la Super Ligue européenne de leurs compétitions nationales, les fédérations nationales qui dépendent de l’UEFA le pourraient.

En 2021, la Fédération italienne de football avait adopté une norme qui empêche les clubs italiens de participer à des compétitions européennes qui ne sont pas reconnues par l’UEFA ou la FIFA. Le Parlement britannique devrait bientôt en faire de même. En Espagne, M. Tebas souhaitait qu’un amendement qui permettrait d’exclure les clubs espagnols participant à la Super Ligue européenne soit inclus dans la Loi sur le Sport.

Toutefois, la Commission de la culture et des sports du Parlement espagnol n’a pas jugé opportun d’inclure une telle disposition dans la loi étant donné les questions pendantes à résoudre par la CJUE concernant la Super Ligue européenne. Malgré cela, la RFEF pourrait tout de même sanctionner les clubs participants en se fondant sur les arguments suivants :

Lorsque des équipes s’inscrivent pour participer à la ligue espagnole de football, ils en acceptent ses règles, parmi lesquelles figurent le système pyramidal basé sur le mérite sportif. Concrètement, cela signifie qu’un club qui participe à la ligue espagnole accepte de participer à la Ligue des Champions s’il termine dans les 4 premiers et de participer à l’Europa League s’il termine dans les 5 ou 6 premiers ou qu’il remporte la Coupe du Roi. Dans ses conclusions, l’Avocat général développe une analyse similaire et plus détaillée dans la quelle il estime que la Super Ligue européenne aurait une incidence négative sur le principe de l’égalité des chance étant donnée que les clubs participants bénéficieraient d’une manne financière à laquelle d’autres clubs de leur championnat national ne pourraient pas prétendre à aspirer (7).

Aparté – l’Edito de Gjon

Nous sommes d’avis que bien que les arguments précités ne soient pas dénués de pertinence, ils seront insuffisants pour qu’une fédération nationale exclue de ses compétitions l’un des clubs participants à la Super Ligue européenne. Peut-on décemment imaginer LaLiga sans le Real Madrid ou le FC Barcelone et les autres championnats européens sans leurs cadors ?

En revanche, ce point pourrait éventuellement amener l’UEFA à négocier avec les promoteurs de la Super Ligue européenne afin que leur système pyramidal ne soit pas mis en péril. Dans tous les cas, si la compétition venait à voir le jour, l’UEFA n’aurait d’autre choix que d’en prendre acte d’une part et de l’autre, évaluer comment une telle compétition pourrait cohabiter sur le panorama européen avec ses propres compétitions.

En outre, en sus des arguments susmentionnées, il convient d’espérer que le projet de Coupe du monde des clubs de la FIFA (dont la première édition aura lieu en 2025) aura pour effet de flexibiliser la posture de l’UEFA en lui démontrant que le statut quo n’est pas immuable et que d’autres compétitions peuvent être bénéfiques pour le football.

D’autant plus que, contrairement au projet initial, les initiants ont changé de fusil d’épaule. Alors qu’au départ ils prévoyaient une ligue fermée, ils affirment désormais qu’il s’agira d’une ligue se basant uniquement sur le mérite sportif, avec plusieurs divisions et composée de 60 à 80 clubs participants qui seront assurés d’un minimum de 14 rencontres européennes au cours d’une saison.

Enfin, il faut saluer l’abnégation des clubs fondateurs et de Florentino Pérez. Ils ont le mérite de proposer une solution, qui, même si elle n’est peut-être pas parfaite, leur permettra à eux et aux clubs désireux d’y participer, de rester compétitifs face à l’avènement des clubs-états. Si nous suivons volontiers l’argumentation de l’Avocat général concernant l’égalité des chances, nous nous permettons d’affirmer que les aides d’état aux clubs de football mettent également en péril cette dernière et qu’à défaut d’être illégales (pour le moment) sont on ne peut plus inopportunes.

 

Gjon Haskaj

Notes :
  1. Point 187, Conclusions de l’Avocat général
  2. Point 95, Ibid.
  3. Point 13, Ibid.
  4. Point 96, Ibid.
  5. Point 97, Ibid.
  6. Point 140,Ibid.
  7. Point 102 et 103, Ibid. :

« Une telle compétition aurait inévitablement une incidence négative sur les championnats nationaux en réduisant l’attrait de ces compétitions (et notamment de celles des États membres dont les clubs font partie de l’ESL). Dans le contexte actuel, le classement final obtenu à l’issue de chaque saison dans les championnats nationaux joue un rôle décisif pour déterminer les participants à la compétition au plus haut niveau européen, ce qui rend l’accession (en fonction du niveau de la ligue nationale) aux premières places de ces championnats particulièrement attrayante. Cet élément pourrait disparaître, ou du moins être très affaibli, si les résultats des ligues nationales étaient en grande partie dénués de pertinence pour la participation au niveau supérieur de la pyramide, ainsi que cela semble ressortir des ambitions de l’ESLC. Les clubs fondateurs seraient ainsi protégés, dans leurs championnats nationaux, de la concurrence des clubs rivaux pour une place dans une compétition européenne de haut niveau. Or, une telle compétition ne semble pas être conforme au principe qui régit le football européen, selon lequel la participation aux compétitions repose sur le « mérite sportif » et les résultats obtenus sur le terrain de jeu.

Par ailleurs, une compétition avec les caractéristiques de l’ESL pourrait avoir une incidence négative sur le principe de l’égalité des chances, qui est un élément constitutif de l’équité des compétitions. En effet, par leur participation garantie à l’ESL, certains clubs pourraient se réserver d’importants revenus supplémentaires, tout en continuant parallèlement de participer à des compétitions nationales dans lesquelles ils affronteraient d’autres clubs qui n’auraient pas la possibilité de générer des revenus d’une ampleur comparable, et encore moins sur une base permanente et constante. Les revenus garantis provenant d’une participation permanente au plus haut niveau peuvent être considérés comme un avantage compétitif considérable pour financer l’acquisition et la rémunération de nouveaux joueurs, ce qui constitue un paramètre déterminant de la concurrence. Le fait qu’il existe actuellement des disparités importantes entre les clubs participant aux compétitions de l’UEFA ne pourrait justifier l’accroissement de ces disparités. »