19 mai 1960, Hampden Park à Glasgow, le Real Madrid d’un Puskas qui voit quadruple remporte devant près de cent-trente-mille spectateurs sa cinquième Coupe d’Europe après une victoire écrasante face aux Allemands de l’Eintracht Francfort. Un triomphe synonyme d’apogée pour un club dominant de fond en comble le Vieux Continent football depuis la création de la compétition continentale en 1956.
Une popularité croissante aux antipodes d’un régime espagnol, mené d’une main de fer par Francisco Franco, qui ne cesse de s’isoler d’un point de vue diplomatique. Mais d’ailleurs, pourquoi les dirigeants ibériques n’utiliseraient-ils pas le prestige Merengues afin d’arriver à leurs fins ?
Un club diplomate du franquisme pendant l’isolement contre son gré
Neutre de façade, mais en réalité bien ancrée dans le camp ennemi. Une Espagne à deux visages, un comportement ambigu du général Franco durant la Seconde Guerre mondiale, comme source d’un prompt abandon de la communauté internationale. Dorénavant exclu de toutes organisations internationales, à l’instar du Plan Marshall ou encore de l’ONU, le régime franquiste en a pleinement conscience : cette situation ne peut continuer ainsi.
D’ailleurs, si le pays se manifeste isolé d’un point de vue diplomatique, le monde du football suit aussi cette même tendance. Hormis quelques nations telles l’Irlande, aucune ne souhaite affronter la Roja tant que ce territoire se voit gouverner par Caudillo. Une constante dont les clubs se révélaient néanmoins épargnés.
Symbole de ce contraste avec la sélection, le Real Madrid, alors champion de Liga en titre juste devant son ennemi barcelonais, se voit inviter à participer à la toute première Coupe des clubs champions européens en 1955. Un trophée alors inconnu au sein de la capitale, gardé pourtant les cinq éditions suivantes bien au chaud sous le soleil madrilène.
Des succès devenus de véritables aubaines pour le pouvoir exécutif. Grâce à la Coupe d’Europe, l’Espagne a pu, d’un côté, explorer l’Occident par l’intermédiaire des déplacements du Real Madrid, une première depuis la fin de la guerre civile. À l’inverse, les étrangers, méfiants à l’égard de la population outre-Pyrénées, ont découvert une autre dimension de l’Espagne davantage honorable.
Depuis ces multiples succès aux yeux du monde entier, le régime se mit à soutenir officiellement, mais aussi publiquement le Real Madrid. Telle l’armoirie du royaume d’Espagne, la Maison Blanche devient un symbole à part entière, exhibé avec orgueil, et dont la nation accueillait les louanges venues de l’étranger avec plaisir. Au cœur d’un contexte de mondialisation du ballon rond, cet outil blanc devint un atout bien opportun de la politique d’ouverture.
Vous l’aurez compris, le général Franco fit tout ce qu’il put pour profiter des bons résultats des Madrilènes sur la scène européenne, mais ne fit absolument rien pour les favoriser. Le club, de son côté, s’est simplement gardé de soutenir presque aveuglément le régime, tout comme de montrer une forme d’opposition.
« Trouver, par tous les moyens, quelque chose qui soit efficace pour la gloire et le prestige de l’Espagne. » Des mots prononcés par un certain Santiago Bernabéu au cours de la venue du dirigeant ibérique en 1960, comme témoignage de la volonté profonde du Real Madrid : réhabiliter l’image de l’Espagne avec un grand « E » et non du franquisme.
La tournée du Real Madrid en Afrique du Sud comme illustration de cette pratique
Un Real impérial et non un Real Madrid invincible. Pourtant au sommet de l’Europe, cette Coupe aux Grandes Oreilles empochée en 1960 laisse place à une première disette pour les Merengues. Et quand quatre ans plus tard les Madrilènes retrouvent le gout des finales, les Interistes d’Helenio Herrera se montrent supérieurs. Cette déconvenue coïncide d’ailleurs avec le dernier match de Di Stefano, symbole d’une fin de cycle accompagné de doutes.
C’est dans ce contexte, marqué par une économie au ralenti, que s’insère la visite du club espagnol en Afrique du Sud dès septembre 1964. Toutefois, si le club ibérique souhaite simplement renflouer ses caisses par l’intermédiaire de cette tournée, le régime franquiste compte bien en profiter. Il s’agit ici d’une véritable illustration concernant l’attitude des différents ministères depuis le milieu des années cinquante, face aux rencontres sportives internationales des Madrilènes.
Paradoxalement, au sein d’un pays où le rugby est roi, les stars de la Casa Blanca se révèlent accueillies en trombe. Cette équipe phagocyte littéralement la presse locale pendant ces deux semaines de visite. Un engouement déjà immense, mais amplifié suite aux deux victoires du club face à une équipe « all star » du championnat sud-africain. Real par-ci, Madrid par-là : le peuple arc-en-ciel se manifeste tout bonnement conquis.
Mais derrière ce succès, se cache un ministre des Affaires étrangères définissant les lignes d’action, tel un chef d’orchestre guidant ses musiciens. Supplié par le diplomate Manuel García-Miranda ; chaque étape, chaque réception, chaque rencontre de l’équipe s’avère malicieusement alignée sur la politique étrangère du régime.
Ainsi, cette virée du Real Madrid permet aux services diplomatiques espagnols de croitre, la renommée ainsi que la popularité internationale de l’Espagne au profit de l’image du régime de Franco. De plus, le bon déroulé de ce voyage finalement « diplomatique » a de même grandement amélioré les relations entre les deux nations.
Performant sur les pelouses, le Real Madrid s’est vu rapidement inséré contre son gré au sein d’une stratégie diplomatique claire durant cette période franquiste si particulière. Une pratique poussée ici à l’extrême, mais qui se révèle encore d’actualité…
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