Entre Super Ligue et Ligue des champions, quelle direction pour le football européen du 21ème siècle ?

Édito. Avec le retour en force de la Super League et face à une Ligue des champions qui cherchent la direction à prendre pour la suite du siècle, le football risque de subir quelques révolutions dans les années à venir. Comment les appréhender.

Michel Platini annonçant la réforme de la Ligue des champions.

La décision de la CJUE du 21 décembre concernant le monopole de l’UEFA sur les compétitions européennes a suscité de vives réactions. Même si la bataille juridique est loin d’être terminée, le nouveau projet de Super Ligue européenne, présenté après la publication de la décision, propose une nouvelle vision du football européen. Alors que la réforme de la Ligue des champions entrera en vigueur à partir de la saison 2024-25 prochainement, nous fêterons le quart de siècle dans une année. Ainsi, il semble opportun de s’attarder sur ce que devrait être le football européen pour la suite de ce siècle.

La réforme de Platini est frappée d’obsolescence

En 2009, Michel Platini (alors Président de l’UEFA) est désireux de rendre sa compétition phare « plus démocratique ». Ainsi, il avait modifié les modalités de qualification en Ligue des champions. L’ancien meneur de jeu des Bleus avait fait en sorte de faciliter l’accès à la C1 aux clubs champions des plus petites nations européennes.

Cette réforme, aussi louable soit-elle dans son intention, avait été intronisée au plus mauvais moment. En effet, durant l’été 2009, Cristiano Ronaldo avait été transféré au Real Madrid pour le montant de 94 millions d’euros. L’augmentation du prix des transferts qui s’en est suivie – maintenue par les transferts de Bale au Real Madrid et de Pogba à Manchester United – a creusé le fossé entre les clubs.

Cette tendance a encore été accentuée par le transfert de Neymar au PSG en 2017 pour la somme rondelette de 222 millions d’euros. Alors que le club parisien s’était acquitté du montant de la clause du joueur brésilien, les achats par le FC Barcelone de Coutinho et Dembelé pour des sommes supérieures à 100 millions d’euros se sont effectués au travers de négociations.

En conséquence, à partir de cet instant, les autres clubs ont estimé opportun d’exiger des sommes avoisinantes pour des joueurs au standing similaire. Le nombre de clubs à même de s’attacher les meilleurs joueurs s’est donc restreint.

En parallèle, un autre phénomène a vu son apparition et est venu frapper cette décennie de plein fouet : la baisse du nombre de joueurs de qualités par rapport aux 3 dernières décennies. A titre exemplatif, lors du dernier Espagne-Italie, les deux équipes alignaient en attaque deux avant-centres de plus de 30 ans (Morata et Immobile), preuve de la pénurie à certains postes. Des petits pays comme la Croatie et l’Uruguay paraissent être en mesure de produire des talents sans fin. Néanmoins, des grandes nations du football comme le Brésil, l’Espagne, l’Angleterre, l’Allemagne et l’Italie ont vu la qualité des joueurs de leur sélection drastiquement baisser durant les 20 dernières années.

En outre, les clubs de l’Europe orientale, les principaux favorisés par la réforme de la Ligue des champions de 2009, ont vu leur compétitivité décroître depuis l’arrêt Bosman en 1995. Un sacre comme celui du Steaua Bucarest en 1986 ou celui de l’Étoile Rouge de Belgrade en 1991 est devenu impensable, à défaut d’être impossible, en raison de la fuite des talents vers l’Europe occidentale. L’équipe de l’Ajax Amsterdam victorieuse en 1995 a été démantelée après son succès lors de l’édition 1994-95.

Lors de celle de 2001-02, le Panathinaïkós avait vaincu le FC Barcelone et tenu le Real Madrid en échec, en quarts de finale et lors de la 2ᵉ phase de groupes. De nos jours, eu égard aux circonstances susmentionnées, une telle performance de la part d’un club de l’Europe de l’Est serait pratiquement impossible. Le nombre de parcours compétitifs des petits clubs s’est réduit comme pain de chagrin au fil des années (à bien distinguer des victoires surprises lors des phases de groupe).

Les détracteurs à ce postulat pourront rétorquer qu’avec une approche plus élitiste du football européen, des parcours comme ceux de l’AS Monaco en 2017 ou celui de l’Ajax Amsterdam en 2019 n’auraient pu avoir lieu. Ceux-ci perdent de vue que les monégasques ont déjà été finalistes de la compétition et le club batave l’a remporté à 4 reprises. De plus, les 2 clubs en question ont été pillés de leurs forces vives après ces brillants parcours sans pouvoir s’inscrire sur la durée.

Team Ajax celebrate the victory with the trophy during the Champions League Final match between Ajax Amsterdam and Milan AC at Ernst-Happel-Stadion, Vienna, Austria on 24th May 1995 ( Photo by Alain Gadoffre / Onze / Icon Sport )

La Ligue des champions réformée en 1997 est le précurseur de la Super League

Jusqu’en 1997, la Ligue des champions ne comportait que les vainqueurs des championnats respectifs ainsi que le tenant du titre comme participants. En autorisant la participation à la Ligue des champions aux 2èmes des 8 meilleurs championnats européens à partir de la saison 1997-98, l’UEFA a ouvert la voie à un autre type de compétition : celle qui rassemble les meilleures équipes d’Europe.

Or, cette approche est antinomique avec celle inclusive chère à Platini. Cette dernière n’aurait de sens que si la compétition revenait au format ex-ante 1997. Nous nous permettons d’affirmer sans trop de risques que pour l’édition actuelle de la Ligue des champions, de nombreuses équipes des 4 grands championnats non qualifiées auraient effectué un parcours plus honorable que les champions suisses, autrichiens, belges, écossais ou serbes.

À partir du moment où l’UEFA a modifié sa compétition phare de manière à rassembler les meilleures équipes du continent, elle doit être conséquente et aller jusqu’au bout de son idée. C’est pourquoi il nous paraît indispensable que la première mesure qu’elle prenne soit d’augmenter le nombre de clubs anglais et espagnols directement qualifiés pour la Ligue des champions à 5.

Sur les 18 dernières éditions de la Ligue des champions, les Britanniques et les Ibériques ont raflés pas moins de 14 titres, 5 pour les premiers, 9 pour les seconds. Il n’est pas rare de voir 3 ou 4 représentants desdites nations en 8ᵉ de finale. En ce qui concerne l’Italie et l’Allemagne, il ne serait pas inopportun de leur accorder une place pour la phase qualificative, en sus de leurs 4 équipes déjà qualifiées pour la phase finale.

La réforme de l’UEFA qui rentrera en vigueur pour l’édition 2024-25 va partiellement dans ce sens. 36 équipes y participeront au lieu des 32 actuelles et parmi les 4 nouvelles équipes admises, deux seront attribuées aux nations ayant réalisé la meilleure performance au cours de la saison précédente. Ces deux associations bénéficieront d’une place pour le club le mieux classé dans le championnat national après le dernier club qualifié en Ligue des champions.

Nonobstant, l’une des 2 autres places sera attribuée au club classé 3ème du championnat de la 5ème nation au classement UEFA. L’autre le sera au champion national de l’association la mieux classée non qualifiée directement. En conséquence, les 3ème et 4ème nations sont clairement prétéritées alors que l’écart entre elles et les 5ème et 6ème nations est conséquent. On remarque clairement les velléités de l’UEFA de concilier méritocratie et inclusivité. Or, comme nous l’avons mentionné auparavant, nous estimons ces deux facteurs incompatibles.

Les droits TV : le nerf de la guerre

A22, la société promotrice de la Super Ligue européenne, promet la gratuité des matchs de sa compétition. Ainsi, c’est dans cette direction que doit se diriger la diffusion des matchs de football au 21ème siècle. L’achat des matchs ou la souscription d’abonnements nous ont presque fait oublier que dans un passé pas si lointain, les rencontres de Ligue des champions étaient retransmises gratuitement sur les chaînes nationales. Dans son arrêt du 21 décembre dernier, la CJUE a communiqué que les règles de l’UEFA et de la FIFA constituent une « exploitation abusive » d’une position dominante au sens du droit européen de la concurrence.

En outre, elle estime que les règles en place confèrent un monopole à l’UEFA et la FIFA en matière d’offre télévisuel, notamment pour la Ligue des champions. Cette dernière prend la forme d’un contrôle total de l’offre, leur permet de pratiquer des prix de vente excessifs et donc abusifs. Il appartiendra au Tribunal de Madrid, auquel la cause sera renvoyée pour être jugée de déterminer si l’UEFA et la FIFA peuvent bénéficier d’une exemption au droit européen de la concurrence.

Il sera intéressant de voir si la présence d’une équipe supplémentaire des 2 nations les plus performantes cette saison pour la prochaine édition de la Ligue des champions aura pour corollaire d’augmenter les audiences télévisées. De toutes manières, avec l’augmentation du nombre d’équipes participantes à 36 au-lieu de 32 actuellement, l’UEFA compte sur le nombre de rencontres plus conséquent pour accroître les recettes liées aux droits télévisés.

Avec un nombre de rencontres attractives plus élevées, Florentino Pérez compte augmenter le nombre de téléspectateurs globaux et donc, accroître la part de marché disponible pour le moment. Nous pensons qu’il s’agit d’une manœuvre judicieuse. Outre son club favori, quel fan de football n’a pas regardé avec attention le dénouement du groupe de Ligue des champions qui mettait aux prises le Borussia Dortmund, le PSG, l’AC Milan et Newcastle ? Un groupe au niveau relevé où chaque équipe pouvait vaincre l’autre avec un final haletant.

Les clubs-État : un écueil de taille à la méritocratie

Alors que le fair-play financier de l’UEFA a subi de nombreuses critiques depuis son entrée en vigueur, nous nous permettons de nous attarder sur le concept de club-État. Ce dernier nous pose un sérieux problème d’un point de vue idéologique. L’institution étatique n’a pas pour vocation de favoriser un acteur privé au détriment d’un autre. C’est l’un des corollaires du libéralisme économique.

Un État ne disparaîtra jamais pour des raisons économiques. Lorsque la Suède a fait faillite en 92, elle s’est relevée et l’État n’a pas disparu. Les banques sont donc plus enclines à faire des prêts aux États qu’aux autres entités, car ils n’ont pas vocation à disparaître alors que les personnes physiques oui. Contrairement au mécénat privé, les garanties dont bénéficient les clubs adossés à un État sont donc illimitées.

De plus, l’aspect politique qu’induit la propriété d’un club par un État pourrait s’avérer dangereux à terme. Les clubs risquent d’être pris en otage à des fins géopolitiques, comme cela avait été le cas des Jeux olympiques dans le contexte de la Guerre froide. L’entité amenée à organiser les compétitions européennes serait donc avisée de se pencher sur ce problème.

En conclusion, nous sommes d’avis que le football européen doit effectuer des changements dans son fonctionnement. Que lesdits changements s’opèrent sous l’égide de l’UEFA ou de A22 importe peu. L’ampleur du phénomène saoudien ne doit pas être sous-estimé et la réorganisation des compétitions européennes permettra d’endiguer l’exode des joueurs européens vers le Golfe. Une réflexion de fond doit être effectuée entre la FIFA, l’UEFA, les clubs et les joueurs afin de déterminer un seuil de matchs auquel les joueurs consentent à participer durant une saison afin que les diverses compétitions et leur coordination soient adaptées en conséquence.

En revanche, il est une ligne rouge qui ne doit pas être franchie : le fait que chaque club d’un même championnat garde des chances identiques à ses concurrents d’accéder à une compétition européenne avec la manne financière qu’elle comporte.

Anas Laghrari, promoteur de la Super Ligue européenne, ne ferme pas la porte à ce que le projet de la Super Ligue européenne se concrétise sous l’égide de l’UEFA, si tant est que cette dernière délègue l’organisation de la compétition à A22 avec le volet commercial qu’elle implique et que l’instance judiciaire en cas de litige soit la CJUE et non le Tribunal arbitral du sport (TAS).

Quoi qu’il en soit, tant et aussi longtemps que l’UEFA et sa Ligue des champions ne seront pas disposées à effectuer des concessions, il existera des velléités de changement de la part d’une partie des acteurs du football européen tant l’écosystème du football s’est modifié depuis une trentaine d’années sans qu’il n’ait été accompagné de règles pertinentes et efficaces pour le régir ainsi que de changements appropriés au niveau organisationnel. Et comme Florentino Pérez l’avait affirmé dans le documentaire « Super Ligue: la guerre du football » : si ce n’est pas lui qui créera la Super Ligue européenne, ce sera quelqu’un d’autre.

 

Gjon Haskaj