Viní/Rodrygo, un tango imparfait en l’absence d’un 3e voltigeur

Alors que le Journal du Real estimait en juillet dernier que cette saison devait être celle de la prise de pouvoir pour Viní Jr. et Rodrygo, le duo semble aujourd’hui marquer le pas. Orphelins d’un véritable numéro 9, les ailiers auriverdes misent sur leur complémentarité pour faire valser les défenses adverses. Au risque de manquer de tranchant.

Vinicius Jr. et Rodrygo, ls buteurs brésiliens du Real Madrid (Icon Sport)

Avec l’arrivée de Jude Bellingham et en l’absence de réel avant-centre de référence, Carlo Ancelotti avait pris la décision en pré-saison de passer du 4-3-3 au 4-4-2 en losange avec l’Anglais en tant que meneur de jeu et Viní Jr et Rodrygo aux postes d’attaquants excentrés.

Rapidement, Rodrygo a paru très emprunté dans un rôle où il est amené à jouer dos au but et où il peut moins prendre la profondeur. Lors des deux périodes d’indisponibilité de Viní Jr. pour blessure, Rodrygo a suppléé son compatriote de manière prometteuse, mais insuffisante. Quant à Viní Jr, il a mis du temps à se familiariser à ce nouveau rôle d’ailier-buteur assigné par l’entraîneur italien. Et ses deux périodes loin des terrains ont pu le couper dans son élan.

Avant la 1ère, il avait démontré face à Osasuna des dispositions insoupçonnées : jeu dos au but, protection de balle et remise en profondeur pour Joselu. Récemment face à Las Palmas et Gérone, le joueur formé à Flamengo s’est illustré avec brio. Il demeure capable de faire la différence à lui seul et il ne tient qu’à lui de se perfectionner encore sur cet aspect.

Ce nouveau système, s’il s’est avéré extrêmement bénéfique pour Bellingham, a paru désorienter les deux Brésiliens. Malgré une réalisation pour Rodrygo lors de la première journée de Liga à Bilbao, et pour Viní Jr à Alméría lors de la journée suivante, l’Anglais est celui qui s’est rapidement démarqué comme étant le plus à l’aise sur la ligne d’attaque dans cette nouvelle configuration. Le meilleur réalisateur du championnat à ce jour a surpris par sa létalité et sa rapide capacité d’adaptation.

En vérité, tout était en place pour que la recrue à 103 millions d’euros empile les réalisations. En masquant son identité sur le terrain, Madrid a généré un effet de sidération dont seul le Britannique a su contenir les retombées.

Vinicius Jr. et Rodrygo, l'attaque auriverde du Real Madrid (Icon Sport)

Vinicius Jr. et Rodrygo, l’attaque auriverde du Real Madrid (Icon Sport)

Jude Bellingham, le numéro 9 qui ne dit pas son nom

A l’aube de la 24e journée de Liga, avant que la Casa Blanca n’assomme son dauphin Gérone (4-0), une petite musique commençait à monter chez les supporters merengues. Jude Bellingham n’avait pas inscrit le moindre but dans le jeu courant depuis 8 matches. Pas l’ombre d’une passe décisive non plus en 180 minutes. Jude allait-il rentrer dans le rang ? C’était mal connaître ce milieu vorace : portés par deux réalisations de sa part, les Madridistas ont pris leur envol.

Et à la 54e minute, le numéro 5 a pris des allures de numéro 9 pour convertir un éclair technique de Vinicius au tableau d’affichage. De milieu offensif à renard des surfaces, c’est en ce sens que le joueur formé à Birmingham sait faire fructifier les actions madrilènes. Constamment à l’affût de la moindre miette, Bellingham parvient à transformer sa densité physique en inépuisable carburant vers la zone du danger.

Non content d’indiquer la marche à suivre, l’ancien joueur de Dortmund dépasse ses fonctions originelles et perfore sans arrêt le bloc adverse. Grâce à son travail de sape, Rodrygo et Vini ont davantage d’espace pour exprimer leurs qualités sans être pour autant collés à la ligne. Aussi, le joyau de la couronne britannique jouit d’un élément étranger à la panoplie des deux Brésiliens : le jeu de tête. Sa remise parfaitement calibrée pour Carvajal, au crépuscule de la rencontre face à Almeria en championnat, résume intégralement sa mue sur le pré. Aussi clinique à la passe qu’à la finition, l’Anglais représente le faux numéro 9 par excellence.

Celui qui manque tant aux deux artistes sur le front de l’attaque lorsqu’il n’est pas là. Sans cette touche finale, le tandem auriverde sollicite, décale, crée mais n’exécute souvent pas. 25 buts toutes compétitions confondues cette saison à eux deux, le total n’est ni impressionnant, ni famélique. Comment échapper à cette inefficience qui les guette ? En l’absence de Bellingham, parfois blessé cette saison, un joueur hispanique, enrôlé spécialement pour son rôle de finisseur, a pu apporter sa pierre à l’édifice.

Joselu, un ancrage indispensable à l’efficacité du duo ?

Alors que le Canterano n’était venu au départ que pour remplacer Mariano numériquement, il s’est quelques fois retrouvé dans la peau d’un titulaire, même lors de rencontres décisives, comme lors du déplacement à Gérone l’an passé (victoire 0-3). Lorsque l’Espagnol est en pointe, Viní Jr. paraît plus à son aise. Joselu, de par son profil, fixe les centraux adverses, servant de point d’ancrage pour l’équipe.

Il permet à son partenaire de bénéficier de plus d’espaces sur son côté. A titre exemplatif, son absence dans le 11 de départ à Leipzig s’est fait cruellement ressentir, les quelques centres de Viní Jr. n’ayant pas trouvé preneur.

Dans ce système à deux attaquants, la présence d’un attaquant de pointe de formation apparaît primordiale. Même en cas d’arrivée de Mbappé, il nous paraît opportun de maintenir Joselu dans l’effectif tant son apport pourra se révéler intéressant dans des contextes déterminés. Et lorsque le joueur formé au club fera ses valises, l’état-major madrilène serait bien inspiré de recruter un profil similaire.

Brahim Diaz et Joselu sous les couleurs du Real Madrid (Icon Sport)

Brahim Diaz et Joselu sous les couleurs du Real Madrid (Icon Sport)

Brahim ou le feu follet qui secoue le tandem

Alors qu’il ne bénéficiait que de quelques minutes de jeu en début de saison, Brahim Díaz a progressivement changé de statut. Au préalable, même si ses entrées étaient toujours intéressantes, elles ne parvenaient pas à convaincre le Mister de lui octroyer plus de temps de jeu. Ce n’est que lors de la première phase où le Real a dû composer sans Bellingham, face à Las Palmas, que l’hispano-marocain a connu sa première titularisation. Avec une belle performance à la clé. Insuffisant toutefois pour que le technicien italien change son fusil d’épaule.

Lors de la seconde période d’indisponibilité de l’Anglais (plus longue cette fois-ci), Brahim Díaz a pu démontrer l’étendue de son talent. Vif, percutant et virevoltant, l’ancien joueur de Manchester City a su tirer son épingle du jeu tant dans le rôle de meneur de jeu que dans celui d’attaquant. Flanqué de Rodrygo sur le front de l’attaque, il est apparu très à l’aise. Les deux joueurs s’entendent à merveille et leur capacité commune à combiner dans les petits espaces n’y est pas étrangère.

Joselu-Vini et Rodrygo-Brahim, voilà deux associations qui fonctionnent brillamment. Pour le natif de Malaga, celui-ci a démontré qu’il méritait sa place dans l’effectif du Real Madrid, même si ce n’est pas dans le 11 de départ. Il lui reste à montrer qu’il est à même d’être régulier au poste de titulaire, en enchaînant 4-5 prestations de haut niveau à la suite. Un reproche qu’on avait tendance à lui faire également lorsqu’il évoluait sous les couleurs du Milan AC.

Toutefois, disposer à l’intérieur de son effectif d’un joueur de cette qualité, qui accepte un rôle secondaire tout en répondant présent lorsque l’on fait appel à lui, reste fondamental. Car à partir de la saison prochaine, Brahim Díaz risque probablement de compter encore moins de temps de jeu.

Kylian Mbappé, futur attaquant du Real Madrid (Icon Sport)

Kylian Mbappé, futur attaquant du Real Madrid (Icon Sport)

Kylian Mbappé, accélérateur ou… fossoyeur

La probable arrivée de l’attaquant français, attendue durant l’intersaison, provoquera à coup sûr des maux de tête à Carlo Ancelotti. Le manager transalpin devra rebâtir son système tactique à l’aune des remarquables aptitudes du Bondynois, dont l’accélération fulgurante n’a d’égale que sa précision face aux cages. Deux possibilités s’offrent au coach madrilène : perpétuer le 4-4-2 malléable, lui assurant une continuité avec la saison en cours, ou repartir sur son 4-3-3 originel, le système qui a façonné sa renommée.

A chaque configuration son lot d’inconvénients : Rodrygo ferait assurément les frais du premier choix, quand le second dédensifierait le milieu de terrain, désarticulant le maillon fort du Real Madrid 2023-2024. Si le joueur formé à Santos croit en sa bonne étoile sportive, il se peut que Carlo Ancelotti opte pour l’option séduisante du 4-3-3, avec un trio capable de terroriser n’importe quelle défense sur la planète. Dans ce cas, Kylian Mbappé se muerait en accélérateur de particules, nanti de la promesse d’être constamment servi dans les meilleures dispositions.

Ce qui, au-delà de constituer un fantasme alléchant, assurerait le désordre chez l’équipe adverse. Reste à savoir si cela ne le provoquerait pas également dans les propres rangs madridistas, faisant notamment reculer Jude Bellingham d’un cran. Quoi qu’il en soit, le désert offensif du début de saison paraît bien loin. Il est toujours plus aisé de modeler une équipe compétitive dans la profusion plutôt que la pénurie. Aujourd’hui, le couple Vini/Rodrygo ne demande qu’à ajouter le sang-froid du réalisme à la grâce de leurs dribbles. Le tango originaire d’Argentine pourrait alors prendre des accents brésiliens.

 

Tanguy Soyer & Gjon Haskaj