Toni Kroos, le régulateur de finesse

A 34 ans, Toni Kroos se veut toujours indispensable dans l’ossature du Real Madrid. Sa science du timing et la précision de ses passes en font un joueur déterminant du système Ancelotti. Son retour en sélection trahit l’insatiabilité d’un trentenaire qui n’est pas près de passer le flambeau.

Toni Kroos, le régulateur de finesse (Icon Sport)

Une boussole indique le nord et Toni Kroos la bonne direction. Ainsi pourrait-on résumer la carrière de l’Allemand sous les couleurs du Real Madrid. Depuis dix ans, ses longues passes dessinent les succès des Merengues et ses frappes brossées tracent un arc irisé. À l’origine de cet arc-en-ciel footballistique, un joueur à la palette unique, au tableau de chasse ultra-complet, et au perfectionnisme absolu.

S’il était un compositeur qui récite ses gammes, Toni Kroos serait certainement Ray Charles, tant le milieu de terrain pourrait distiller ses transversales les yeux fermés. Chef d’orchestre du mythique trio avec Modric et Casemiro, l’ancien joueur du Bayern Munich a su maintenir un haut niveau d’exigence, même avec la perte du Brésilien à l’été 2022. Malgré une inévitable baisse de condition physique, ses performances demeurent remarquables, grâce à une adaptation progressive de son style de jeu lui permettant de réduire ses courses. Cette mue, rendue possible par un Fede Valverde au volume impressionnant à ses côtés, lui donne la possibilité d’éloigner le crépuscule de sa carrière.

Le 22 février dernier, il annonçait même le début d’un nouveau chapitre international en vue de l’Euro. Son grand retour avec la sélection allemande, prévu au mois de mars, instille l’idée qu’une prolongation de contrat est possible. D’ailleurs, les hautes sphères madrilènes seraient optimistes quant à l’extension de son bail, d’après le très bien informé Fabrizio Romano. À date, le maître de l’entrejeu madridista n’a pas tranché. Si la peur est mauvaise conseillère, la confiance, elle, devrait prochainement mener Toni Kroos à faire le bon choix.

Toni Kroos sous les couleurs du Real Madrid (Icon Sport)

Toni Kroos sous les couleurs du Real Madrid (Icon Sport)

Le quarterback éternel

Epicentre du jeu madrilène, le natif de Greifswald représente le thermomètre idéal pour tout manager. Un Toni Kroos de bonne facture, c’est l’assurance de pouvoir compter sur un Real Madrid sain et conquérant. Cette propreté technique l’amène notamment à frôler un taux de passes réussies de 90% sur les cinq dernières saisons, une marque extrêmement élevée. Mieux : il est celui qui a complété le plus de passes dans le dernier tiers du terrain cette saison en Europe.

Malgré son positionnement assez bas, l’Allemand contribue directement à la production offensive et sait se montrer décisif. Un gage de réussite qui perpétue son statut d’inamovible, même à un âge avancé. Depuis le mois d’octobre, Toni Kroos s’est retrouvé sur le banc des remplaçants à seulement sept reprises toutes compétitions confondues. Sur un total de 28 rencontres, il a donc été titulaire 75% du temps.

Par sa capacité à réguler le tempo, administrer de longues transversales, sous-peser les risques et alimenter le front de l’attaque, Toni Kroos demeure le parfait quarterback du collectif merengue. Le parallèle avec le football américain, fût-il anecdotique, touche également au tempérament froid et calculateur du germanophone.

Toni Kroos, l'inépuisable milieu de terrain du Real Madrid (Icon Sport)

Toni Kroos, l’inépuisable milieu de terrain du Real Madrid (Icon Sport)

Une sérénité (quasi) constante

La scène en a étonné plus d’un. Lors de la réception de Séville, à la 35ᵉ minute, Toni Kroos est entré dans une colère noire. Victime d’une possible erreur d’appréciation de l’arbitre, l’Allemand s’est pris la tête à deux mains, vitupérant avec force contre Isidro Diaz de Mera Escuderos. Cette image d’un joueur hors de lui capable de maugréer après un carton jaune est d’autant plus rare qu’elle a immédiatement fait le tour des réseaux sociaux.

Comme pour montrer que si même lui se met dans un état pareil, alors l’homme au sifflet devait être particulièrement incompétent. Par une étrange coïncidence, Isidro Diaz, blessé, n’a pas pu finir le match. Quand on vous dit que l’énervement ne gagne jamais Toni Kroos plus d’un instant…

Le caractère exceptionnel de cet incident illustre le sang-froid d’un homme qui sait parfaitement où il se situe, sur le terrain et en dehors. Avec son frère Félix, Toni partage dans un podcast bimensuel lancé en 2020 ses impressions sur le football européen. Dans le dernier épisode de « Einfach mal Luppen », le milieu de terrain en a remis une couche sur l’action face aux Andalous :

« Ce qui m’a mis en colère, c’est que j’étais en réalité à un mètre de distance. […] Je suis loin de l’adversaire. Je le vois commencer à dribbler dans sa propre zone et il veut juste entrer en collision avec moi. Je me suis même éloigné pour qu’il n’ait pas trop de contact avec moi, mais l’arbitre n’en a pas tenu compte. »

En fin analyste, Toni Kroos tacle là où cela fait mal et se pose au-dessus de la mêlée. Une reconversion en tant que consultant toute trouvée ?

Toni Kroos, la légende allemande du Real Madrid (Icon Sport)

Toni Kroos, la légende allemande du Real Madrid (Icon Sport)

Et maintenant, le chant du cygne ?

Avec un contrat qui court jusqu’en juin 2024, il est légitime de s’interroger sur le devenir au club du numéro 8. Si la presse se fait dernièrement l’écho d’une confiance des dirigeants madrilènes au sujet de la volonté de l’Allemand d’étendre son bail, le récent exemple de Modric pourrait le contrarier. Voire le refroidir sérieusement. Le Croate de 38 ans, très peu titulaire cette saison, dispute des bouts de rencontres.

Victime collatérale d’un embouteillage au milieu de terrain, son statut de Légende ne lui confère pas pour autant un temps de jeu stable. Est-ce pour cette raison que Toni Kroos tarde à prendre une décision ? Craint-il un probable déclin physique l’année prochaine, synonyme de place sur le banc de touche ?

À l’heure actuelle, l’incertitude liée à son avenir n’amoindrit pas la vigueur technique d’un cadre qui fait désormais partie des meubles, une décennie après avoir rejoint le Real Madrid. Reste à savoir si le garant de la fluidité merengue prendra le large en fin de saison. Auquel cas Ancelotti devra sortir sa caisse à outils, afin de faire d’un autre joueur l’élément cardinal de l’équipe.

 

Tanguy Soyer