Le 12 décembre, Joan Laporta a comparu en tant que témoin (non imputé en raison de la prescription pour son premier mandat 2003-2010) devant la juge Alejandra Gil, la magistrate qui instruit la procédure pénale liée à l'affaire Negreira.
Son témoignage marque une étape importante dans l'instruction, qui approche de sa phase finale après plus de deux ans d'enquête sur les paiements de plus de 7,3 millions d'euros versés par le FC Barcelone à José María Enríquez Negreira entre 2001 et 2018. Joan Laporta a notamment affirmé :
- Ne jamais avoir connu personnellement José María Enríquez Negreira ni son fils.
- Avoir hérité les paiements d'anciennes directions et les avoir maintenus sur recommandation de la direction sportive, car ils concernaient des rapports techniques sur les arbitres.
- Que ces rapports existaient (le club en a fourni environ 629 pour les périodes ultérieures), qu'ils ont été trouvés par hasard au fond d'une armoire, dans des cartons. Qu'ils datent de la période comprise entre 2014 et 2018, mais qu'il n'y a rien concernant les saisons précédentes, car selon lui, les documents du club sont détruits tous les cinq ans.
- Que le Barça n'a jamais été favorisé par les arbitres : « Ils ne nous ont absolument pas aidés » », car l'équipe était « un exemple dans le monde entier ».
- Que les paiements n'avaient pas pour but d'influencer les résultats.
- Que l'augmentation des paiements, dont il affirme qu'ils les ignoraient lors de son premier mandat, pouvait s'expliquer par l'accroissement du nombre de matchs et de compétitions.
La déclaration de Laporta était très attendue, car en tant que témoin, il devait répondre, sans mentir (sous peine d'être condamné pour faux témoignage), à toutes les questions posées par l'accusation et le ministère public. Toutefois, le président du Barça n'a pas expliqué pourquoi le club avait accepté en 2021 un accord avec l'administration fiscale qualifiant ces paiements de « libéralités », un terme fiscalement lié aux cadeaux ou gratifications non justifiés. De même, il n'a pas expliqué pourquoi certains rapports techniques contenaient des informations privées sur les arbitres, difficiles à obtenir sans relations internes au sein de l'instance arbitrale.
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Une ligne de défense incohérente
Joan Laporta a donc maintenu sa ligne de défense habituelle, celle qu'il avait adoptée le 17 avril 2023 lors de sa conférence de presse visant à justifier les paiements à Negreira, deux mois après la révélation publique de ces derniers. Le président du Barça avait présenté aux médias un arsenal de cartons contenant 629 rapports et 43 CD, prétendant justifier les paiements du Barça à Negreira pour les rapports préparés par son fils Javier. Il avait présenté ces documents comme la preuve qu'il s'agissait de conseils techniques d'arbitrage légitimes, sans aucun lien avec une quelconque tentative de manipulation ou d'influence sur la compétition.
Nonobstant, le problème dans ladite ligne de défense est qu'elle a perdu en crédibilité le 18 septembre dernier, lors du témoignage de Javier Enríquez Romero, le fils de Negreira. Au cours de son audition, il avait déclaré qu’il avait lui-même rédigé des rapports pour le Barça (entre 2013 et 2018), mais pour un montant tout à fait modeste (≈ 70 000 € annuels), ce qui est bien moindre comparé aux 7,3 millions versés à son père entre 2001 et 2018.
Javier Enríquez avait nié que ces paiements massifs soient justifiés par ses services et a minimisé son propre rôle en assurant qu'il n'avait jamais facturé ces travaux à travers les sociétés de son père. En outre, il avait assuré que l'argent qu'il recevait pour ses rapports n'avaient rien à voir avec les paiements de plusieurs millions du club barcelonais à son père et qu’il n’avait aucune connaissance de leur arrangement.
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Le dénouement de l'affaire Negreira devrait aboutir à une condamnation
Joan Laporta s'est donc accroché à cette ligne de défense incohérente. Cela pourrait vraisemblablement signifier la fin des espoirs pour lui et le FC Barcelone de voir le club être disculpé d'une condamnation pénale. D'autant plus que Luis Enrique et Ernesto Valverde, qui ont également témoigné le même jour que Laporta de manière télématique, ont déclaré n'avoir jamais vu ni utilisé ces rapports, ni même en avoir eu connaissance.
L'infraction du Code pénal espagnol relative à l'infraction de corruption dans le domaine sportif requiert que l'intention corruptrice soit démontrée. En d'autres termes, il n'est pas nécessaire de démontrer que les paiements du FC Barcelone à Negreira aient effectivement altéré la compétition, mais qu'ils étaient effectués dans ce dessein.
Selon le principe de l'intime conviction (libre valoración de la prueba en espagnol), dans le cadre d'une procédure pénale, le juge est libre d'apprécier et d'évaluer les preuves, sans se voir imposer une valeur préétablie par la loi, mais cette appréciation doit être fondée sur les règles de la logique et du bon sens rationnel. Il peut donc prononcer une condamnation sur la base d'un faisceau d'indices et ne nécessite pas de preuves directes.
L'absence de crédibilité de la ligne de défense de Joan Laporta suite à son témoignage et celui du fils de Negreira, ainsi que d'autres éléments déjà établis (les affirmations de Negreira selon lesquelles les paiements du Barça visaient à obtenir la neutralité arbitrale ; la proposition en 2020 au travers d'un fax du propre Negreira au Barça de les aider avec la VAR), constituent, d'après plusieurs spécialistes du droit espagnol, des éléments suffisants pour que le FC Barcelone en vienne à être condamné.











